vendredi 28 décembre 2007

Le poisson rouge.


Ce matin, je regarde mon poisson rouge, un peu comme ça, en passant. Sans le voir vraiment, occupé que je suis à quelques menus travaux dans ma cuisine écarlate. J’essuie des verres face au bocal que je n’arrive pas à appeler aquarium et son mouvement, face à moi, m’oblige de temps en temps à lever les yeux de mon torchon. On se regarde l’un l’autre, gentiment. Il me semble que j’ai un avantage énorme sur lui. Mes yeux plus volumineux, me permettent de le voir en entier alors que lui, j’imagine qu’il ne perçoit de moi qu’une infime partie. Fait-il la reconstitution de tout ? Je l’ignore.
J’ouvre un tiroir pour ranger quelques couteaux et fourchettes propres tout en souriant béatement. Mes yeux glissent machinalement sur le plan de travail et s’arrêtent, comme attirés, sur cette espèce d’animal défiant même l’idée de merveille naturelle. Une impression fugitive de le voir sourire aussi, un éclair. Je chasse très vite cette pensée furtive, quoique légèrement inquiétante. Un poisson à sourires ! Et rouge de surcroît ! Allons, t ‘es stupide !

Je secoue la tête et souris plus franchement encore. Le poisson ouvre la bouche et laisse échapper une énorme bulle qui éclate à la surface. La coïncidence des deux événements me trouble. Comment ne pas manquer de voir dans cette manifestation purement biologique une ébauche de réponse à mon visage enjoué ! Je me surprends à me pencher plus près du bocal, je plie les genoux, approche mon visage jusqu’à toucher la paroi de verre. Bizarrement il s’éloigne ! Fait quelques tours dans sa prison nonchalamment. Je ne sais pourquoi, je ressens une légère déception. Je repousse le tiroir à couverts un peu plus violemment que je ne le souhaite, ce qui met en mouvement l’eau du bocal. Il se retourne et semble-t-il, me fixe. Ses yeux noirs me figent et pendant un court instant mes pensées disparaissent. Je deviens flasque, mou, sans consistance osseuse. Je m’ébroue pour chasser cette impression stupide, ce qui a pour effet d’envoyer quelques gouttes, de la sueur certainement, sur la vitrine du buffet. Je me détourne pour attraper un chiffon et ôter les traces d’eau.

Il n’y a pas de petits profits, que des grosses pertes. J’avoue que je ne comprends pas pourquoi je pense à cela à cet instant, en frottant la vitre. C’est un peu comme si cette pensée s’imposait à moi, s’infiltre dans mon esprit sans que je comprenne sa raison. Je me retourne et l’examine étrangement dans son bocal. La pensée me revient alors en force : pas de petits profits, que des grosses pertes. Sans comprendre, je plonge la main dans son espace humide et attrape non sans difficultés le poisson. Bien après, je réaliserai qu’il avait tenté de me mordre. Je le porte à hauteur des yeux et le considère, pensif, quelques secondes, une éternité pour lui, sans mots dire, en le tenant par la nageoire de queue. Je l’observe alors qu’il s’agite en tous sens par manque d’air. Perplexe, je luis dis que moi, je ne manque pas d’air et je le gobe, comme ça.

D’un coup.

Adieu poison.

Il est dix heures du matin, j’ouvre la porte pour aller chercher mon courrier et découvre avec effroi une bonne centaine de chats éparpillés devant la maison. J’ai juste le temps de refermer quand j’en vois quelques-uns uns tenter de me bondir dessus les griffes en avant. Je ferme à clef, descends les volets roulants. Je me dirige d’un pas incertain vers la salle de bain et je me fais couler un bain tiède. Avec délice, j’immerge mon corps dans l’eau.

Je suis bien dans mon bocal, à l’abri des chats.

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